12 Janvier 2017
Voici une série de récits faisant appel à l'imaginaire celtes et plus particulièrement Breton.
LES BRUMES DE L’OUBLI
extrait:
Il y avait sur une île située bien au large, assez loin pour que la mémoire l’ait oubliée, un peuple qui avait quitté nos chères terres de Bretagne. Une légende dit que les femmes en sont les sirènes vivant près des récifs tandis que leurs hommes chevauchent sur de grands coursiers l’écume des tempêtes. Ses habitants occupaient un territoire allant de l’Huelgoat aux montagnes noires descendant même jusqu’au grand alignement, voire même au-delà. L’on peut dire qu’ils peuplèrent les terres de Bretagne dans leur quasi-totalité. D’aucuns disent qu’on les trouvait bien au-delà encore. Cependant ils restaient très discrets, vivant le plus souvent à l’abri des regards et des envieux.
Galhaa’n, nous l’appellerons ainsi, parcourait les chemins comme un Pilhaouer en quête de quelques sous bien sonnants. Il aimait sa vie même si celle-ci le bousculait de temps à autre. Son manteau sentait la bruyère et ses bottes le goémon quand il flirtait à marée basse avec les grandes plages balayées par les vents. Il n’hésitait pas à s’y reposer quand les beaux jours étaient revenus. Le temps importait peu, demain serait demain et les étoiles brilleraient toujours au-dessus de sa tête. Ses rencontres étaient faites de trocs et de bavardages. C’était l’occasion de donner des nouvelles de la mer, de la terre, d’un parent, ou tout simplement de la vie qui coulait le long de sa route. Il n’était jamais attendu mais toujours le bienvenu. Ses pas l’emportaient parfois pour de longs mois. Ainsi, quand il repassait, l’âge ou la maladie avait emporté untel, mais aussi des familles s’étaient agrandies ou en passe de l’être. La vie, comme les saisons, apportait ses moissons, il fallait bien un jour que la grande faux fasse son travail. Gare à celui qui n’entendait pas crisser les roues de la sinistre charrette.
Les pas de Galhaa’n l’entraînaient donc le long de la côte. Il avait laissé Bréhat sur sa droite rentrant un peu dans les terres. Il regarda le ciel, la journée promettait d’être belle, le vent ayant balayé les nuages. De toute façon, il ne vivait que pour le jour présent. Le lendemain était un mystère que le ciel lui laisserait peut-être traverser. Croyant il l’était, à sa manière. Ses croyances à lui étaient ancrées dans sa terre, celle qu’il parcourait sans jamais s’en lasser. Il avait la jeunesse de ses trente ans ou à peu près, le pas sûr mais les traits tirés par le vent. Ses yeux avaient la transparence des fontaines où le ciel se serait lavé laissant un peu de sa couleur.
En quelques jours, il atteignit les grands rochers de granit qui défiaient le temps d’un équilibre sans âge. Il aimait se reposer dans leurs ombres, couché au pied de la pierre que le soleil avait chauffée. Là, il ferma les yeux, porté par le cri des mouettes que les courants faisaient planer dans l’air tiède.
Un soir Galhaa’n arriva dans un petit port sculpté dans la côte. Il marchait d’un pas lent, se donnant le temps de respirer ce nouveau lieu. Les quelques maisons se fondaient dans la roche bravant les tempêtes d’hiver tout en regardant vers le large. Ce large où mères et compagnes tournaient leur regard fatigué vers un horizon d’espoirs et de craintes. Quelques barques penchées sur la vase attendaient une marée qui leur rendrait leur dignité. Un vieux marin, que l’âge emportait inexorablement vers un chemin que le regard ne pourrait suivre, remaillait un filet. Trop vieux pour glisser sur l’océan, il rêvait d’un autre large en parcourant de ses doigts encore agiles les mailles fatiguées. Alors que Galhaa’n était absorbé par la vision du vieil homme, une main se posa sur son épaule.
- L’homme tisse sa mémoire ! dit une voix assurée et chaude.
- Hein ! ?
Galhaa’n se retourna, surpris d’entendre une voix. Il pensait être le seul hormis le vieux pêcheur, à traîner ses pieds dans ce port séculaire. Les hommes voguaient sur l’océan tandis que les femmes s’emmuraient dans le silence de leur maison en guettant la prochaine marée.
- Tu as bien failli me faire peur !
- Si tu as peur c’est que tu vis ! lui dit l’homme. Mais excuse-moi, je me nomme Arthur !
- Et moi Galhaa’n !
L’homme qui disait s’appeler Arthur portait une courte barbe sur un visage sans âge. Galhaa’n ne pouvait en détacher le regard.
- Arthur ? Ce n’est pas un nom d’ici ! Que vends-tu ?
- Pilhaouer, je ne vends rien !
- Et moi je n’ai point de beaux draps ! Juste quelques rubans. Au retour je porterai dentelles pour les gens derrière les terres de Bretagne. Mais si tu ne vends rien, où vas-tu ?
- Je ne vais pas ! Je viens !
- Voilà que tu m’intrigues l’homme !
- Arthur !
- Oui ! Et tu viens d’où ?
- Je viens des brumes ! répondit Arthur.
- Par les Korils d’Huelgoat ! Tu ne parles que par énigmes ! Es-tu de ces conteurs qui parcourent les chemins ?
Arthur avait le regard dans un autre lieu, dans un autre temps. Il sourit à Galhaa’n.
- Non, je ne suis pas un conteur. Par une barque j’ai accosté dans les brumes de la nuit au dormir des hommes. Ma terre se trouve quelque part sur l’océan.
- Eh ! Je pourrais peut-être y faire commerce ? Elle est grande ton île ?
- Oui ! Elle est grande comme une terre !
- Elle s’appelle comment ?
- Tu serais bien le premier à ne pas en avoir entendu parler !
Galhaa’n qui ne voulait pas passer pour un nigaud, il est vrai qu’il ne connaissait tant s’en faut toutes les îles de sa bonne vieille terre, se rattrapa comme il pouvait. Il était moins un homme de mer qu’un homme de campagne dont il parcourait tous les chemins ou presque. Il ne voulait pas être impoli avec cet homme qui malgré l’étrangeté de ses propos n’en était pas moins sympathique.
- Et qu’y trouve-t-on qui se peut échanger ? demanda-t-il sans trop de convictions.
- Ce que les hommes y ont laissé de mémoire !
Galhaa’n le regarda de côté. Décidément l’homme ne répondait jamais directement à ses questions et cela l’agaçait.
- Quand y retournes-tu ?
- Quand la nuit partira avec la marée !
- Hum ! Serais-tu de ces gens de paroles, poètes égarés cherchant l’inspiration sur des chemins déserts ?