23 Mars 2016
Une légère poussière s’élevait sous leurs pas alors que le soleil brûlait plus qu’il ne chauffait. Sylaan et Koàbé étaient habitués et ne lui prêtaient pas plus d’attention. Ils craignaient davantage le souffle brûlant du vent qui desséchait tout sur son passage, ne laissant derrière lui que les os blanchis de quelques bêtes prises au piège. Personne ne s’aventurait dans le grand désert, enfin c’est ce que pensait Koàbé qui n’avait jamais imaginé qu’il se retrouverait là, à marcher vers ses peurs d’enfant que les vieux du village alimentaient d’inquiétants récits. Il avait l’impression de vivre dans un de ces mauvais rêves qui le réveillaient parfois. Pour le moment, il suivait Sylaan qui ne paraissait pas troublé par cette situation.
– Doit-on vraiment continuer dans cette direction… ? Il est peut-être retourné au village…
– Tu as lu comme moi l’écriture du ciel, le vol des oiseaux a parlé.
– Oui mais…
– Les songes sont la voix des Esprits qui nous guident ! coupa Sylaan. Nous retrouverons Enké.
– Maudite tempête, maugréa Koàbé.
Son ami lui donna une tape amicale sur l’épaule accompagnée d’un large sourire qui le soulagea de ses sombres pensées, du moins pour l’instant. Il ne poussait pas grand-chose ici, constatèrent les deux amis. Les arbustes qui survivaient traînaient de maigres branches sur le sol, donnant un semblant d’ombre à quelques insectes en quête de nourriture.
Cela faisait maintenant deux jours qu’ils marchaient. Les montagnes se rapprochaient lentement en dansant sous les relents de chaleur s’élevant du sol. Sylaan chantait des chansons de la terre que lui avait apprises le chaman. Il s’arrêtait parfois, pour cueillir quelques herbes et les ranger soigneusement dans son sac, comme on cache un trésor. La nuit n’allait pas tarder et il fallait songer à s’arrêter pour prendre du repos. L’air fraîchissait tandis que le sol rejetait la chaleur de la journée. Ils n’auraient pas de mal à trouver du bois sec pour faire un feu. D’anciens arbres gisaient çà et là, blanchis par le vent et la poussière. Les étoiles vibraient déjà dans le ciel quand ils allumèrent le feu. Lentement, ils s’assirent dos à dos et Koàbé entonna un air grave, laissant aller son regard en direction des montagnes qu’il ne voyait plus dans le noir. Sylaan reprit d’une voix plus légère et les sonorités des deux amis glissèrent dans la nuit. Leur chant terminé, Sylaan leva les yeux.
– Regarde, Koàbé, là !
Un ensemble d’étoiles formait la silhouette d’un faucon.
– Vois, notre Maître est là, qui veille.
– Je n’avais jamais vu cette image avant, tu crois…
– Il est là, répondit Sylaan.
Koàbé demeura longtemps les yeux fixés vers le ciel. Les pensées se bousculaient dans sa tête, mêlant confiance et inquiétude. Son corps glissa sur le sol, le sommeil le gagna sans qu’il s’en aperçoive. Sylaan resta assis, entourant ses jambes de ses longs bras. Ses pensées sautaient d’étoile en étoile jusqu’au moment où il ferma les yeux à son tour. Il ne dormait pas. Son regard était tourné vers la nuit intérieure, comme il aimait l’appeler, celle où les disparus se retrouvent. Une ombre blanche trembla et tourna à plusieurs reprises devant ses « yeux » Elle s’éleva pour plonger à nouveau. Un cri strident se fit entendre. L’instant d’après, Sylaan volait au-dessus du désert dans un ciel azur. Le vent le portait et caressait son corps. Une plume se détacha et resta suspendue dans le vide. La vitesse faisait défiler le paysage. Rien n’échappait à son regard, insectes, rongeurs ou mammifères.
Le vent prit la direction de l’Est, un éclair aveuglant lui brûla les yeux et explosa dans son crâne… Il glissait maintenant à quelques mètres au-dessus d’une large rivière bordée d’arbres. Ces derniers s’étendaient en une masse compacte et verte comme il n’en avait jamais vu. L’eau sinueuse comme le serpent des sables disparaissait parfois sous de sombres voûtes feuillues. De son vol rapide, Sylaan remontait le courant, quand il arriva soudain au-devant d’une immense cascade fumeuse dont il ne pouvait détacher son regard. Elle faisait un bruit terrifiant et l’attirait au point qu’il put presque la toucher. À ce moment, une voix résonna dans sa tête et il fut pris de tremblements.
– Sylaan ! Sylaan !
Il eut l’impression alors de tomber et tout devint noir. C’était Koàbé qui essayait de réveiller son ami en le secouant doucement. Le soleil venait de se lever, teintant d’orangé le paysage alentour. Aucun nuage ne viendrait troubler le ciel. Sylaan, les yeux grands ouverts et fixes, resta un instant pétrifié.
– Tu as vu un fantôme ? plaisanta Koàbé qui se tenait debout devant lui. La nuit est encore dans tes yeux.
– Tu as raison, je… je rêvais.
Mais il ne raconta pas son étrange rêve.
– Eh bien, ne fais pas cette tête-là ou tu vas me faire peur, continua-t-il en se moquant gentiment de lui.
– Koàbé tendit la main pour aider Sylaan à se relever.
– Voilà qui est mieux. Tu n’aurais pas faim, parce que moi…
Il ne leur restait guère que de quoi faire un maigre repas. Avant tout, il fallait s’éloigner de ce désert. Koàbé savait manier à merveille sa fine lance pour chasser tandis que Sylaan lui, préférait sa fronde. Il n’avait d’ailleurs pas son pareil pour toucher sa cible, créant l’admiration et l’envie des jeunes du village. Leurs longues silhouettes reprirent la route. Bientôt, le sable fit place à une terre plus ferme. Une herbe jaunie par le vent s’étendait tristement sur le sol.
Ils traversèrent une savane balayée par des vents rampants qui s’enroulaient autour de leurs chevilles. Malgré la crainte, ils continuèrent à progresser. Leurs pas s’allongèrent car ils voulaient quitter au plus vite cet endroit. La montagne vibrait sous le soleil, accompagnée de sinistres craquements. Les vapeurs de chaleur qui l’entouraient la faisaient paraître presque impalpable.
Sylaan ne cessait de penser à cette nuit. Koàbé, dont les yeux toujours mobiles traquaient le danger, avait remarqué les froncements de sourcils fréquents de son ami.
– Ne vieillis pas trop vite…
– Hein… ?
– De profonds plis visitent ton front depuis ce matin et je ne veux pas retrouver un vieil homme d’ici le soir.
Et nos deux hommes de rire.
– Moi aussi, je pense à Enké, continua Koàbé.
Sylaan ne répondit pas car ce n’était pas cela qui le tracassait.
– Les oiseaux sont bien loin et nous sommes égarés.
– Non, faisons confiance au chaman, regarde, nous suivrons cette vallée…
– Cette vallée, oui, mais je ne vois pas comment passer ces montagnes. Et puis je n’en ai pas vraiment l’envie.
– Ce n’est pas l’envie qui nous le demande, mais la vie…
– L’envie, la vie, mais pourquoi parles-tu par énigmes ?
– Parce que la vie est énigmes.
– Ça continue…
Sylaan sourit devant l’air bougon de son compagnon et lui donna une bonne tape dans le dos.